Faire bouger les signes

« Une seule lettre vous manque et tout est dépeuplé »… aphorisme bancal qui ne fait pas les affres –  ou les affaires – que des joueurs de scrabble : un mot pour un autre, un jambage qui manque, un autre qui s’intercale, et patatras ! Quel poète ne s’y est pris les pieds ? Sans compter les interventions intempestives des correcteurs automatiques, grands oulipiens qui s’ignorent et foutent désormais, du tac-au-tac et dans notre dos, un bordel sans nom, en tout cas sans nom connu. Mais il y a plus – ou plutôt moins, ici. Une intéressante opération par soustraction plutôt que par addition, où c’est la forme même de l’intervention – sa place, sa couleur, son embossage, son décalage – qui précise, ou mieux, qui incarne ce qu’elle apporte. Droite comme un i (qu’elle est) et prise en sandwich, la voyelle qui sépare « baiser » de « biaiser » est tout sauf innocente. La partie de la locution latine qui est partie – « desunt », après le « et caetera » – dit sans les dire son propre retrait, son effacement, son « vous me manquez déjà ». « Je t’aime » et « Je t’ai menée » en bateau, on le sent bien sous notre langue fourchue, voguent trop souvent dans une même barque et dérapent volontiers l’un vers l’autre ou l’un pour l’autre. Et entre « n’être pas seul » ou pas « le seul », tout est à nouveau surpeuplé ou dépeuplé… Le verbe est un navire qui chavire. Mais rien ici ne se souligne ni ne s’affiche : tout est pris dans le parti de la pâte à papier ; tout s’écoule et se fond dans la matière et la manière, étudiées au plus près pour épouser – c’est-à-dire trahir et élégamment engluer – nos moindres formes de pataquès. Les imprimeurs vous le diront : tout est dans la défonce. Et un peu, aussi, dans l’adorure…

Emmanuel d’Autreppe

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Impression typographique sur papier réalisée dans l’atelier de Philippe Kessel, imprimeur typographe à Bruxelles. Format 50 x 40 cm. Une édition signée, numérotée et poinçonnée de 14 exemplaires de chaque  + 2 H.C. + 2 E.A.