Félicien Marbœuf est un écrivain français du XIXème siècle : « le plus grand des écrivains n’ayant jamais écrit », comme nous le donnait à lire Jean-Yves Jouannais dans son essai Artistes sans œuvres. I would prefer not to (éditions Verticales, 1997). En 2009, désireux de donner une nouvelle substance à cette figure tutélaire du retrait, l’auteur fit appel à des artistes et organisa une exposition consacrée au maître ès absence à la Fondation Ricard pour l’art contemporain à Paris. La contribution d’Alain Rivière consista alors en une collection de photographies d’écrivains aux yeux fermés, français et étrangers, dont les dates de naissance ou de mort chevauchent celles de Félicien Marbœuf. Si leurs renommées sont inégales aujourd’hui, tous sont susceptibles d’avoir été lus par lui ou de l’avoir rencontré. Chaque portrait a été réalisé à partir de photographies réelles, qui fournirent les éléments de décor – literie, papiers peints, fleurs, etc. : pour chacun, Rivière produisit un nouveau portrait, tirant de ces images d’époque la matière même des greffes de paupières et de leur mise en scène fantomatiques. L’artiste a donc prêté à Félicien Marbœuf une étrange lubie, consistant à accumuler des portraits d’écrivains sur leurs lits de mort, ou simplement assoupis dans une séance de pose chez Carjat ou Nadar. Cette collection donne ainsi une forme plastique au retrait, au grand silence qui creuse la figure de Félicien Marbœuf : s’il n’a pas laissé d’œuvre, il aura rêvé la littérature, comme tout écrivain, d’une certaine manière, rêve son œuvre. À la faveur de cette publication, cette galerie de portraits est augmentée d’une seconde collection, reproduite en vis-à-vis : elle est constituée de papiers amassés par le singulier personnage durant toute sa vie. Son abstinence littéraire n’a laissé s’y inscrire que l’œuvre du temps, sinon son ombre fuyante : macules diverses, déchirures, gribouillages, empreintes, traces et signes indéchiffrables. Si le présent fac-similé n’est surplombé d’aucun appareil critique, on y trouve quatre lettres exhumées par Jean-Yves Jouannais, qui nous renseignent sur l’origine de la collection. Car il y eut bel et bien, entre Marbœuf et l’auteur de La Recherche, une correspondance fort éclairante sur les intentions du premier et leur réception par le second. Documents rares : Félicien Marbœuf les a gardées précieusement dans son cabinet – le présent cabinet de poche, à tranche rouge.
François de Coninck et Alain Rivière