Aquarelles de Damien De Lepeleire
J’ai de la chance nous offre une plongée vertigineuse dans la solitude existentielle, affective ou sexuelle d’un monde pourtant hyper-connecté. Qui n’a jamais, par curiosité, lassitude ou désespoir, posé à Google une question à laquelle il semble ne pas y avoir de réponse ? François de Coninck s’est adressé à Google au départ de plusieurs ordinateurs (donc de différents profils d’utilisateurs), avec des requêtes telles que : « Pourquoi mon mari », « Pourquoi ma femme », « Pourquoi les filles », « Pourquoi le désir », « Pourquoi les artistes », … et force est de constater une étonnante similitude dans les suggestions renvoyées, tous profils confondus. J’ai de la chance pose ainsi des questions fondamentales quant à la place prise aujourd’hui par Google dans nos vies quotidiennes, à l’heure où des assistants vocaux, de plus en plus intrusifs, se multiplient. La particularité du projet tient également dans sa forme : l’auteur a ensuite envoyé ses captures d’écran à Damien De Lepeleire, qui les a transposées en aquarelles. Ce travail s’inscrit dans une démarche plus globale de réinterprétation du concept de nature morte : plutôt que de peindre des pommes et des poires dans des plats, Damien De Lepeleire peint des lettres. Cette pratique de la typographie à main levée, qui évoque l’art de la calligraphie, ne permet aucun repentir et produit un résultat imparfait par nature (la taille des lettres, ou celle des espaces qui les séparent, sont variables). Cette imperfection apparaît comme un contre-pied à la rigueur toute numérique des polices telles qu’elles s’affichent sur un écran. Mais après tout, Steve Jobs n’a-t-il pas souvent rappelé que, sans sa passion pour la calligraphie et la typographie, le Mac n’aurait probablement jamais existé ?
Pierre-Yves Desaive, historien et critique d’art, conservateur pour l’art contemporain aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique