Loin de l’imagerie de la chasse à l’objet à laquelle se livrent tant de collectionneurs, c’est la partie d’échecs, ce combat chevaleresque en champ clos, qui permet de décrypter au mieux l’histoire de la collection d’Alexis Bonew : le roi des jeux rend en effet parfaitement compte de la nature, de la subtilité et de la variété des stratégies qu’il a échafaudées sur l’échiquier de la vie pour parvenir à ses fins de collectionneur. Celles-ci auront exigé de lui le déploiement de forces semblables à celles qui s’affrontent sur les 64 cases du plateau où se joue cette lutte cérébrale qu’il a pratiquée toute sa vie. Mais si la collection d’art africain rassemblée par Alexis est la crête de la vague formée par son existence, elle ne doit pas nous faire oublier la lame de fond qui lui a donné son élan, son rythme, sa puissance et sa beauté : l’œuvre de penser, qui fut sa grande affaire. Car la frénésie qu’il a pu déployer sur la scène du monde pour acquérir ces objets ne saurait être comprise que si on la polarise avec la réflexion incessante, intérieure et silencieuse qui l’a mue et qui a pris forme dans ses écrits – publiés ou non. À vrai dire, c’est entre le regardeur et le penseur que s’est jouée la plus ardente partie d’échecs dans la vie d’Alexis : derrière le masque du collectionneur, c’est en sa propre persona qu’il a trouvé son plus brillant adversaire.
François de Coninck